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La
grande rencontre... avec Michel ADRIEN
animée par René
MONIOT BEAUMONT
Comment un
simple marin pêcheur de Noirmoutier est-il devenu un armateur d'importance
internationale et un aquaculteur de première grandeur ? Aujourd'hui on
parlerait de la France qui gagne. Sans nul doute, Michel Adrien appartient-il à
ce club. Il est la démonstration vivante que l'avenir de notre pays est
aussi sur mer, ce que beaucoup oublient.
(Article de l'Express du 21 juin
2001). A 13 ans, il est simple mousse sur un langoustier de Noirmoutier.
"Chien du bord", comme on disait à l'époque.
Michel Adrien vient de quitter
la maison familiale, dont le sol était en terre, et l'école communale, faute
d'argent pour se payer des études. Aujourd'hui, à 68 ans, il est à la tête d'un
puissant armement aux ramifications internationales, qui affiche un chiffre
d'affaires de près de 1,4 milliard de francs. L'île vendéenne de Noirmoutier, la
terre pauvre de son enfance, est devenue terre promise. Pionnier de
l'aquaculture, il y a installé en 1986 une écloserie, désormais leader mondial
des alevins de turbot. Autodidacte, Michel Adrien l'est assurément. Il en
est même une illustration quasi parfaite. Simple marin, il a profité du paradis
qu'était le golfe de Gascogne lorsqu'il était poissonneux, "lorsqu'on ignorait
l'aquaculture". Ses souvenirs ont de quoi faire rêver sur les quais. "Si on
prenait moins de 100 langoustes dans la journée, on était déçu..." Dans le même
temps, il s'instruit en suivant des cours par correspondance. "J'empiétais sur
mon temps de sommeil. J'envoyais mes copies, mais je ne recevais pas toujours
les corrections dans les ports où nous faisions escale", raconte-t-il.
Michel Adrien achète son premier
bateau en 1957. Il entame sa carrière de patron pêcheur à bord du Fils de la
Vierge, ainsi nommé en hommage au bateau de son père, la Vierge de
Massabielle. Très vite, impressionné par les récits de capitaines au long cours
qui décrivent dans les colonnes du Marin des "immenses bancs de poissons à faire
rêver", le fils du bourg de l'Epine, à Noirmoutier, met cap au sud. Alors
que les Français quittent le Sénégal, lui s'y installe, forme des marins
pêcheurs, monte une usine pour traiter et exporter sa production. L'aventurier,
qui ne rechigne pas au coup de poing quand il le faut, se fait homme d'affaires
averti. Le jour, il recrute des marins dans les rues de Dakar, pour ses
chalutiers. Le soir, il discute avec les conseillers du président Léopold Sédar
Senghor. Plus tard, un peu plus au sud, en Côte d'Ivoire, il explique au
président Félix Houphouët-Boigny que les flottes de chalutiers russes "rendent
son pays dépendant sur le plan alimentaire". Au bout de quelques années
seulement, il a 24 chalutiers sous ses ordres et emploie 700 personnes.
Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon.
L'hiver, il est à la pêche, l'été, il retrouve ses racines vendéennes. Les
affaires marchent, mais Michel Adrien rapporte le paludisme dans son sillage. En
1977, il subit sa première crise, très aiguë. Elle manque d'être fatale. Un
médecin de Nantes, spécialiste des maladies infectieuses, parvient à le sauver
alors qu'il rédige son testament dans de terribles souffrances. "Chercheur
dans l'âme", Michel Adrien se passionne ensuite pour le problème des océans qui
se tarissent alors que la démographie mondiale explose "et que le manque de
protéines menace à court terme". C'est ainsi qu'une nouvelle filiale de son
groupe va naître. Elle s'appelle France Turbot et elle voit le jour à
Noirmoutier. Michel Adrien rachète le savoir-faire à l'Institut français de
recherche pour l'exploitation de la mer, qui n'arrivait pas à progresser dans
ses travaux sur l'écloserie de turbots. "Lorsqu'on a repris la station, elle
stagnait à environ 30 000 alevins par an. En trois ans, nous sommes passés à 250
000. Elle est aujourd'hui à plus de 3 millions et est devenue la première
écloserie, avec 70% des alevins de turbot produits dans le monde", explique-
t-il d'une voix posée, avec l'assurance modeste d'un homme qui a su forcer le
destin et la chance à coups d'instinct et de travail.
Michel Adrien se prépare
désormais à passer la main pour la direction de son groupe (2 050 salariés sur
trois continents), dans deux ans, à l'un des ses fils. "Il faut savoir partir à
temps", dit-il. Mais il veut encore profiter du rêve qu'il vit tous les jours à
France Turbot. "Petit, je voulais être chercheur, confie-t-il. Je le suis un peu
devenu à travers le travail que j'effectue avec les scientifiques de ma
société."
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